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Quelles sont les conséquences en cas de divorce de la prise en charge par un époux séparé de biens de la part de financement de son conjoint dans l’acquisition d’un bien immobilier en indivision ?

Le 23 août 2012

Les acquisitions de biens immobiliers en indivision sont fréquentes entre époux séparés de biens. Elles peuvent susciter des problèmes délicats au moment de la séparation, lorsqu’un époux a pris en charge la part de financement qui aurait normalement dû être supportée par son conjoint. Le conjoint financeur réclamera souvent le remboursement, tandis que l’autre époux cherchera au contraire à démontrer qu’il ne doit rien. Se pose alors la question de la cause de la prise en charge du financement, question à laquelle la jurisprudence s’est efforcée d’apporter des réponses.


En régime de séparation de biens, chacun des époux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. Chacun d’eux reste seul tenu de ses propres dettes.

Il est néanmoins fréquent en pratique que des époux séparés de biens acquièrent un bien immobilier en indivision et que, soit par nécessité, soit par ignorance des règles juridiques, cette acquisition soit financée par l’un d’eux au-delà de sa part, ou même en totalité.

Cette situation peut faire naître des difficultés entre les époux en cas de divorce, ou en cas de décès, entre le conjoint survivant et les autres héritiers. L’époux qui a payé exigera souvent le remboursement, tandis que l’autre cherchera au contraire à démontrer qu’il ne doit rien. Se pose alors la question de la cause de la prise en charge du financement.

Avant de s’attacher à rechercher qu’elle peut être cette cause, précisions d’abord que les proportions d’acquisition respectives des époux sont celles stipulées dans l’acte d’acquisition (1). Dans le silence de l’acte, le bien est réputé indivis entre eux par moitié. Le financement n’a aucune incidence sur la propriété du bien. Il permet uniquement, dans certains cas, à l’époux qui a payé au-delà de sa part de bénéficier d’une créance sur son conjoint.

La prise en charge par un époux séparé de biens de la part du financement incombant à son conjoint peut être motivée par des causes diverses. Suivant les circonstances, il peut s’agir d’une libéralité (a), d’une « donation » rémunératoire (b), d’une modalité de contribution aux charges du mariage (c) ou encore d’une créance entre époux (d).

a. Libéralité

La prise en charge par un époux de la part de financement incombant à son conjoint peut trouver sa cause dans une libéralité qu’il a voulu lui consentir. C’est à l’époux qui l’allègue d’établir la réalité de l’intention libérale du prétendu donateur (2).

Une telle libéralité est parfois qualifiée de donation déguisée par la jurisprudence. Or, avant la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, les donations déguisées faites entre époux étaient frappées de nullité (3), ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Mais pour que cette qualification soit retenue, il faut que l’acte d’acquisition contienne une affirmation mensongère quant à l’origine des fonds (4). A défaut, le déguisement n’étant pas établi, la libéralité doit être qualifiée de donation indirecte. Une telle donation, même faite entre époux, est parfaitement valable. Il reste qu’avant la loi du 26 mai 2004 précitée, les donations faites entre époux pendant le mariage étaient toujours révocables. Il suffisait donc à l’époux donateur de révoquer sa donation indirecte pour obtenir le remboursement (5).

Désormais, les donations de biens présents consenties depuis le 1er janvier 2005 (date d’entrée en vigueur de la loi du 26 mai 2004) sont devenues irrévocables (6). Cependant, en vertu de dispositions transitoires prévues par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, les donations de biens présents faites entre époux avant le 1er janvier 2005 demeurent librement révocables (7). L’ancienne règle peut donc encore trouver à s’appliquer aux donations déguisées ou indirectes consenties avant cette date. Reste à savoir comment déterminer la date de telles donations. Deux dates paraissent concevables : la date de l’acte d’acquisition ou la date à laquelle l’époux a effectivement payé à la place de son conjoint (ce qui conduirait à retenir plusieurs dates, et donc plusieurs donations, en cas de versements multiples, tel que des remboursements d’emprunt). C’est la seconde possibilité qui semble la plus logique et qui donc être retenue.

Avant la loi du 26 mai 2004, c’était toujours l’époux financeur qui avait intérêt à faire admettre l’existence d’une donation, car alors, elle était soit déguisée et donc nulle, soit indirecte et par suite librement révocable. Depuis la réforme, on peut s’attendre à un renversement. Désormais, qu’elles soient déguisées ou indirectes, les donations de biens présents entre époux qui prennent effet pendant le mariage, ne sont plus ni nulles, ni librement révocables (8). C’est donc l’époux bénéficiaire qui a intérêt à faire admettre l’existence d’une libéralité à son profit.

b. « Donation » rémunératoire

Déjà connues sous l’Ancien droit, les libéralités rémunératoires ne sont aujourd’hui évoquées que de manière subreptice au détour de certains textes du Code civil (9).

Contrairement à ce que peut laisser croire sa dénomination, la donation rémunératoire n’est pas une libéralité. Il s’agit d’un acte à titre onéreux rémunérant un service rendu par celui qui en est le bénéficiaire. Comme tout contrat, la donation rémunératoire ne peut, en principe, être révoquée unilatéralement (10). En tant que contrat à titre onéreux, elle échappait au principe de libre révocabilité des donations entre époux à l’époque où ce principe était en vigueur, ce qui avait abouti à faire prospérer cette qualification en jurisprudence. Par dérogation, l’article 960 du Code civil soumet néanmoins la donation rémunératoire à la révocation pour survenance d’enfant. Mais on sait que cette cause de révocation des donations, qui suppose une stipulation et donc un acte écrit, est de toute manière exclue s’agissant des donations entre époux (11). Un esprit imaginatif ou tortueux (comme l’on voudra), pourrait cependant soutenir que, n’étant pas réellement des libéralités, les donations rémunératoires n’obéissent pas à cette exception, mais il se heurterait encore à l’absence d’acte écrit, et donc à l’absence de stipulation réservant la révocation pour survenance d’enfant, qui est une condition exigée par le texte pour la permettre.

Lorsque certaines conditions sont remplies, la jurisprudence admet sans peine que la prise en charge par un époux séparé de biens de la part de financement incombant à son conjoint puisse être qualifiée de donation rémunératoire (12). Encore faut-il pour qu’il en soit ainsi qu’il y ait un véritable service à rétribuer. Ce n’est le cas que si l’époux concerné a déployé une activité au foyer ou apporté une aide à l’activité professionnelle de son conjoint, d’une importance telle qu’elle excède la part qui lui revient dans les charges du mariage. En deçà, il n’y a rien à rémunérer car l’intéressé ne fait que remplir son obligation légale de contribution aux charges (13). La jurisprudence fait parfois référence à une « aide exceptionnelle » apportée par l’époux. Tel est le cas par exemple d’une épouse qui renonce à exercer une activité professionnelle pendant le mariage pour s’occuper du foyer comptant des enfants mineurs et apporter son aide à l’activité professionnelle de son mari (14).

c. Contribution aux charges du mariage

Dans un arrêt rendu en 2006, la Cour de cassation a admis que le remboursement par un époux d’emprunts contractés pour financer l’acquisition d’un bien appartenant à son conjoint puisse être regardé comme une modalité de contribution aux charges du mariage, lorsque ce bien constitue le logement de la famille (15). Un arrêt rendu en 2011 avait certes semblé se rebeller contre cette conception, s’agissant d’un époux séparé de biens qui avait remboursé seul l’emprunt contracté pour financer l’acquisition indivise du logement de la famille. Dans cette affaire, la Cour de cassation a affirmé que « le non règlement par l’ex-épouse de sa part indivise dans l’immeuble justifie la réclamation par son ex-mari qui a assuré le financement de cette part, d’une créance correspondant au montant des sommes avancées (…) et la contribution aux charges du mariage ne saurait s’étendre au règlement par l’époux de dettes personnelles de l’épouse aux fins de constituer à celle-ci un patrimoine immobilier » (16). Il s’agissait cependant d’un arrêt rendu en formation restreinte et non publié au Bulletin, qui n’a pas connu de suite. Par un arrêt rendu quelques mois plus tard et auquel elle a donné une large diffusion (P+B+I), la Haute juridiction est revenue à l’orthodoxie jurisprudentielle. Dans cette espèce, elle approuve la cour d’appel d’avoir décidé que « les règlements (…) opérés par le mari, concernant un immeuble [indivis] dont elle a relevé qu’il constituait le logement de la famille, participaient de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage. » (17).

Il arrive parfois que la prise en charge par un époux séparé de biens du financement de son conjoint excède son obligation de contribuer aux charges du mariage. La jurisprudence admet alors qu’il puisse prétendre à une créance entre époux pour le surplus. L’excès est souverainement apprécié par les juges du fonds (18).

d. Créance entre époux

Il se peut enfin que la prise en charge par un époux séparé de biens de la part de financement incombant à son conjoint ne trouve sa cause ni dans une libéralité, ni dans la rémunération d’un service et ne constitue pas une modalité de contribution au charges du mariage, mais qu’elle s’explique par la volonté d’avancer des fonds au conjoint, avec la perception, plus ou moins nette, qu’il faudra, d’une manière ou d’une autre, procéder à un règlement des comptes en cas de séparation.

L’époux financeur bénéficie alors d’une créance sur son conjoint, qui obéit au régime spécifique des « créances entre époux » (19). Par dérogation au principe du nominalisme monétaire (20), la créance doit être réévaluée en fonction de la valeur actuelle du bien, ou si le bien a été vendu depuis, en fonction de sa valeur au jour de la vente. Si un nouveau bien a été acquis en remploi du prix, la créance est réévaluée en fonction de la valeur de ce nouveau bien. Ce système permet de protéger l’époux financeur contre l’inflation et d’éviter que son conjoint ne profite de la plus-value acquise par le bien alors qu’il ne l’a pas financé.