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Résidence alternée et distance entre le domicile des deux parents

Le 17 août 2016
Résidence alternée et distance entre le domicile des deux parents
L'éloignement géographique des domiciles des parents est un frein à la mise en place d'une résidence alternée des enfants.

Les faits étaient les suivants :

Les parties s’étaient mariées en 1997 à Strasbourg. Deux enfants étaient issus de cette union, âgés respectivement de 15 et 11 ans au moment des faits. En 2012, le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a prononcé le divorce entre les parties.
Selon les termes de ce jugement, et reprenant le contenu de l’ordonnance de non-conciliation, la résidence des enfants avait été fixée au domicile de la mère.

Le père s’était alors vu octroyer un droit de visite et d’hébergement devant s’exercer à l’amiable et, à défaut, comme suit :
- Hors vacances scolaires, les fins de semaine paires (par référence à la numérotation des semaines sur un calendrier) du vendredi soir dès la fin des activités scolaires au dimanche soir 20 heures ;
- Pendant les vacances scolaires, la première moitié les années paires et la deuxième moitié les années impaires.

Or, en 2015, le père a saisi le tribunal et sollicité la mise en place d’une garde alternée et par la même occasion la suppression de la pension alimentaire.
La mise en place d’une garde alternée aurait en l’espèce été perturbante pour les enfants. En effet, l’exercice d’une garde alternée ne se conçoit que si cela ne constitue pas une charge trop lourde pour les enfants. L’exercice sain d’une telle mesure suppose donc que les parents habitent à proximité l’un de l’autre, et que les parents ne passent pas leur temps sur la route ou dans les embouteillages.

En l’espèce, le père habitait Scharrachbergheim tandis que la mère habitait Souffelweyersheim. La distance entre les deux domiciles est comprise entre 23,26 et 27 km selon le chemin emprunté. Lorsqu’il n’y a pas de circulation, il faut entre 34 et 37 minutes pour se rendre d’une commune à l’autre. Lorsqu’il y a de la circulation, le temps pour effectuer ce trajet passe facilement à 45 voire à 55 minutes. Or, il y a de la circulation chaque matin, entre 7 heures et 8 heures, c’est-à-dire quand les gens partent au travail.

Les enfants allaient à l’école à Souffelweyersheim, c’est-à-dire là où réside leur mère. L’école se trouve d’ailleurs à quelques mètres du domicile de la mère. Si une garde alternée devait être mise en place, cela signifiait que les enfants devraient faire ce trajet chaque matin, de 7h15 à 8h, ou de 7h à 7h45, pour être à l’heure à l’école. Ce rythme aurait rapidement été épuisant pour eux. La mise en place d’une garde alternée était donc contraire à l’intérêt supérieur des enfants.

La jurisprudence est d’ailleurs on ne peut plus claire sur la question : la mise en place d’une garde alternée suppose une certaine proximité propre à éviter que celle-ci ne pèse trop lourdement sur les enfants.

Voir en ce sens :

  • Cour d’appel de Dijon, 13 décembre 2007, Z.R. / R. « ... l’école de l’enfant est située à une distance proche de son domicile (le domicile de la mère). M. R. ... demeure à 20 km du domicile et de l’école de l’enfant. Aussi dans l’intérêt de l’enfant, il convient de rétablir la situation antérieure et de fixer à titre principal la résidence de l’enfant au domicile de la mère et d’accorder au père un droit de visite et d’hébergement ... »

De la même façon, il ne peut y avoir de garde alternée quand cela contraint les enfants à des déplacements longs, les obligeant à se lever tôt pour aller à l’école.

  • Cour d’appel de Colmar, 29 octobre 2013, X / Y

« Depuis septembre 2013, Nathan est scolarisé à l’école maternelle du lieu de domicile de la mère ... il est manifeste que les modalités de résidence alternée fixées par le jugement déféré ne sont plus adaptées, dès lors que l’enfant, lorsqu’il réside chez son père, est contraint de se lever tôt pour se rendre à l’école et d’effectuer de nombreux trajets fatigants pour lui.
Par conséquent, dans l’intérêt de l’enfant, il convient de fixer la résidence principale au domicile maternel. »

La garde alternée suppose toujours que les parents résident à peu de distance l’un de l’autre.
Voir en ce sens :

  • Cour d’appel de Bordeaux, 29 février 2012, Laurence T. c/ Christophe A.

« Toute décision relative à la résidence d’un enfant doit être prise dans l’intérêt supérieur de celui-ci ; ... La garde alternée suppose que les parents résident à peu de distance l’un de l’autre... »

Aucune de ces conditions n’était réunie, en l’espèce.

Voir également :

  • Cour d’appel de Lyon, 15 septembre 2015 - X / Y

« Attendu que le premier juge a considéré que l’intérêt supérieur de l’enfant exclut la mise en œuvre d’une résidence alternée ; ... Attendu que l’éloignement géographique existant entre les domiciles parentaux exclut à lui seul la mise en place d’une résidence alternée. »

Voir encore :

  • Cour d’Appel de Chambéry, 12 octobre 2015 - X / Y :

« Attendu qu’en l’espèce, au vu de l’éloignement géographique entre les domiciles respectifs des parents, ... il apparaît impossible et contraire à l’intérêt de l’enfant de mettre en place aujourd’hui une résidence alternée. »

La jurisprudence n’en était donc pas à ses balbutiements et ne faisait qu’appliquer le Code civil qui invite le magistrat à ne tenir compte que du seul intérêt de l’enfant. Cela ne signifie pas pour autant que les désirs des parents sont ignorés par le tribunal, ils sont un facteur de réflexion important dans la décision que devra prendre le juge aux affaires familiales, mais ils ne peuvent balayer complètement le bien-être de l’enfant.

Le juge aux affaires familiales devra donc répondre à une question qui sera la pierre angulaire du dossier : quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ?
- l’intérêt supérieur de l’enfant est-il de vivre égalitairement au domicile de chacun de ses parents dans le cadre d’une garde alternée ?
- l’intérêt supérieur de l’enfant est-il, au contraire, de vivre chez l’un de ses parents et d’aller au domicile de son autre parent dans le cadre d’un droit de visite et d’hébergement accordé au profit du parent non gardien ?

Rappelons que sauf circonstances particulières, la règle est aujourd’hui celle de la garde alternée.
Les circonstances particulières résideront dans ces éléments de faits qui rendront difficile, voire impossible, l’exercice d’une garde alternée, tel que précisément un éloignement trop important des parents.

Le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Strasbourg a donc fait une exacte application de la loi et de la jurisprudence qui y est attachée.

Sa décision était d’ailleurs sans ambigüité :
« Si Monsieur F.T. indique qu’il bénéficie d’une grande souplesse dans l’organisation de son emploi du temps et qu’il peut donc se rendre disponible pour amener Lisa au collège, il n’en justifie pas. Il ne donne, non plus, aucune information sur les modalités de transport de Luc pour se rendre au lycée et la coordination des trajets à effectuer pour les deux enfants.
Au plus court, le temps de trajet entre le domicile de Monsieur F.T. et le collège de Lisa est de 35 minutes sans tenir compte des difficultés de circulations. Selon les semaines, l’enfant commence les cours au collège 3 ou 4 fois à 7h50 et ses horaires vont nécessairement changer à chaque rentrée scolaire ;
Il résulte de ces éléments que la distance entre le domicile du père et les lieux de scolarisation des enfants est trop importante pour mettre en place une résidence alternée des enfants. Les enfants seraient alors soumis à un rythme trop soutenu pour leur âge en termes d’heures de lever et de temps de transport. »

Sa décision s’inscrit donc dans le cadre d’un chemin jurisprudentiel tracé en profondeur depuis longtemps. Mais l’originalité de sa décision va plus loin.

En effet, en l’espèce, les enfants avaient demandé à être auditionnés. Lorsque les enfants demandent ainsi à être entendus dans le cadre d’une procédure qui les concerne, cette audition est « de droit » ce qui signifie qu’elle ne peut être refusée par le tribunal.

Lors de leur audition, les deux enfants avaient exprimé leur souhait de vivre tant avec leur père qu’avec leur mère, ce qui, en termes enfantins, signifiait clairement la mise en place d’une garde alternée.

On aurait pu se dire que le magistrat saisi de ce dossier allait faire droit à leur souhait ainsi exprimé et ordonner une telle mesure. Il aurait pu assortir sa décision d’un garde fou en précisant que les modalités de la garde alternée ainsi mise en place vaudraient pour un délai de six mois ou d’un an, et que les parties feraient ensuite un bilan de l’application de cette mesure lors d’une nouvelle audience dont la date pouvait d’ores et déjà être fixée.
Tout cela aurait été parfaitement possible.

Or, si le souhait de l’enfant est un facteur d’éclaircissement et peut même être une sortie de crise possible, il n’en est pas toujours ainsi. Les désirs de l’enfant peuvent être contraires à son intérêt supérieur et l’enfant peut ne pas se rendre compte, en raison de son jeune âge, des difficultés dans lesquelles il se lance. Le tribunal est donc là pour apporter un équilibre salutaire.

Le juge aux affaires familiales est donc passé outre le souhait clairement exprimé par les deux enfants. Sa décision est là encore sans ambigüité possible.
« Si les enfants ont à cœur de partager plus de temps avec leur père, ils ne sont pas en mesure de prendre conscience des contraintes qu’une telle résidence alternée engendrerait pour eux, notamment en terme de fatigue.
Dans l’intérêt des enfants, la résidence principale de L. et L. sera donc maintenue au domicile de la mère. »

La règle de droit est donc supérieure à la volonté de ceux auxquels elle s’applique avec rigueur.

Le père n’a pas fait appel de cette décision, sentant sans doute que croiser le fer une nouvelle fois devant d’autres magistrats serait contraire aux intérêts de tous.
Deux mois plus tard, il a déménagé à moins de 2 km du domicile de la mère et a redemandé la garde alternée qui a spontanément été acceptée par la mère.